mardi 10 août 2010

On s’attendait à une énième « enquête » sur les pratiques pas très réglos des taxis de la gare Saint-Charles, et c’est effectivement de cette manière qu’a démarré le sujet de Zone Interdite diffusé hier soir sur M6. Pour faire court, des taxis refusent de prendre un client « pour aller au bas de la rue » et facturent à la tête du client (une pseudo-touriste anglaise s’en sort pour 20 euros jusqu’au Vieux-Port contre 7 euros normalement).

Mais, s’il n’évoquent pas les pressions réalisées sur la mairie pour couler les alternatives au taxi, les journalistes passent ensuite sérieusement la seconde. Dans son bureau « en plein coeur de la Mairie« , Charles Gilardenghi, président de l’Union syndicale des petits propriétaires de taxis des Bouches-du-Rhône (Tupp), affirme qu’il « aime rendre service« . Exemple ? « Quelqu’un qui veut un logement, je demande à la présidente de la commission si on peut lui faire attribuer. Si la fille d’un chauffeur a eu un petit, je fait la demande pour qu’il rentre à la crèche« . Se vanter face à la caméra d’une grande chaîne nationale de clientélisme : chapeau Lolo (le surnom de Gilardenghi), et tant pis pour l’offensive anti-clichés de la ville…

Tu veux être taxi ? Prend ta carte à l’UMP

Dans la foulée, le reportage passe carrément la cinquième avec le témoignage de Serge, qui affirme avoir négocié avec « Lolo » pour obtenir une licence de chauffeur (en nombre limité, celles-ci se monnayent entre ceux qui prennent leur retraite et les aspirants taxis). Les conditions qu’on lui aurait posé ? « Il faudra rentrer dans notre radio (les Taxis Tupp, ndlr), il faudra prendre la carte de l’UMP« , explique-t-il.

Une accusation que l’intéressé dément dans une pirouette typique de la faconde marseillaise : ceux qui tiennent absolument à le remercier peuvent lui payer un pastis avec des glaçons. « En tant que président d’un syndicat qui se veut indépendant, cela ne peut que me faire sursauter, je trouve que les dés sont pipés. Mais attention : avec ce genre de reportage on a l’impression que c’est la règle. J’espère que ce n’est qu’un épiphénomène« , commente Jean Gammicchia, du Syndicat des taximètres marseillais et de Provence.

Bakchich pour les hôtels

Troisième coup de semonce avec le président de l’association Taxis Radio Marseille (dits « les Verts », concurrent des « Bleus » de Gilardenghi) Jean Agius, qui ouvre pour M6 une piste qui n’avait jusque-là jamais été exploitée : « on a toujours été écartés des hôtels car on refuse de payer quoi que ce soit pour avoir du travail« , lance-t-il. Dans un grand hôtel, jouant l’ingénu qui débarque dans le métier, il discute avec la chef réceptionniste pour se faire envoyer des clients par son intermédiaire. « Au niveau des petites commissions, des commissions sur les aéroports, vous fonctionnez comment ?« , lui demande-t-elle.

Après une nouvelle séance de candide d’Agius, elle affirme que les Tupp paieraient à l’hôtel entre 6,5 et 8 euros pour une course vers l’aéroport. Un surcoût pour les chauffeurs bien entendu répercuté sur la note du client d’une manière ou d’une autre… Là aussi, s’il reconnaît que cette pratique existe, Charles Gilardenghi assure que ni les Bleus ni les Verts ne s’y adonnent. « Ne croyez pas que j’ai tourné cela pour faire tomber les Tupp. Après la personne m’a dit « je travaille avec ce réseau », je ne l’ai pas forcée« , précise Jean Agius.

Jean Gammicchia confirme en tout cas l’existence de ce problème : « nous on ne discute pas sur ces bases-là« . Du coup, ses adhérents ne travaillent « quasiment pas » avec les hôtels. « Certains nous appellent pour des petites courses, car les équipes qui travaillent avec eux ne leur prennent que les bonnes« , complète Jean Agius. On ne dit pas qu’on n’arrive pas à gagner notre vie à cause de cela, mais si l’on compte les transferts vers l’aéroport, il y a du bon travail. Surtout, avant Marseille 2012 (la ville accueillera le Forum Mondial de l’eau, ndlr) et Marseille 2013 (où elle sera capitale européenne de la culture, ndlr) si on dit aux touristes qu’ils vont se faire arnaquer… Il faudrait un peu s’en soucier. »

L’opposition monte au créneau

Président du groupe socialiste au conseil municipal et maire du 1er secteur, qui comprend la gare et de nombreux hôtels, Patrick Mennucci a sauté sur l’occasion dès ce matin. Tout en demandant au procureur de la République de « vérifier » les points potentiellement délictueux évoqués dans le reportage, il interpelle le maire UMP Jean-Claude Gaudin dans un courrier estimant que « la situation ne peut plus durer et il en va dans ce domaine de votre entière responsabilité. Comme moi vous constaterez le désastre touristique et économique de ces faits qui montrant une réalité que nous connaissons tous, produit une image très mauvaise pour notre Ville« .

D’où un appel à l’ »organisation d’une réunion avec les directeurs d’hôtels« ainsi que l’ »organisation avant la fin de l’année d’élection professionnelle des artisans taxis afin de désigner démocratiquement les représentants des taxis marseillais. » Jean Gammicchia « dis chiche« , lui qui fait cette demande sans succès depuis longtemps. « La loi affirme que le maire désigne les représentants au sein de la commission communale, ce qui peut se faire de plusieurs manières. » Et Jean-Claude Gaudin n’a pas choisi celle de l’élection. « Il n’y a eu le cas qu’une seule fois, sous Vigouroux. C’était très bien, sauf que cela n’a pas empêche que les dés soient pipés, car il y a eu une implication totale de l’adjoint au maire qui faisait campagne pour un syndicat ». D’où un enthousiasme teinté de méfiance pour cette mesure.

Les amis de Lolo

Le prudent président du STM devient plus bavard lorsque l’on évoque la composition de cette commission, qui compte six représentants de la profession aux côtés d’un nombre égal pour les usagers et l’administration. Outre le STM, y siègent les Tupp, le Syndicat des Artisans Taxis Marseillais (SATM), l’Association marseillaise des artisans taxis (AMAT), le Syndicat indépendant des artisans taxis (SIAT) et le Syndicat des Taxis Euroméditerranée Marseillais (STEM). Tous plus ou moins liés selon lui à Charles Gilardenghi et son entourage. « Le SIAT qui s’occupe surtout de comptabilité a été créé par son frère puis repris par un ami, l’AMAT a été créé par un ami, le SATM n’a pas à proprement d’effectifs et le STEM était au départ une émanation de Gilardenghi, même s’il vient de s’affilier à une fédération nationale », détaille-t-il.

Paranoïa ? Dans une décision de l’autorité de la concurrence française datée du 9 avril 2008, on apprend que le syndicat de Gilardenghi, son bras commercial Tupp Radio, le SIAT, le SMAT et l’Intersyndicale des Taxis Marseillais ont le même avocat… Pour réduire les coûts ? Et il y a mieux : il s’agit de Me Yves Moraine. Relisons : oui, c’est bien l’actuel président du groupe UMP au conseil municipal. Qui plus est « « Gaudiniste » de la première heure », présent sur ses listes depuis 1989, d’après un récent article de La Provence. Où on lisait que « pour l’instant, il poursuit sa carrière d’avocat au sein du cabinet Le Roux « en ne mélangeant pas les genres ». » Bien entendu. Tout comme Lolo n’a jamais poussé les adhésions à l’UMP, ni Pierre Demartis, désigné en novembre à la commission, n’était pas candidat sur la liste Gaudin aux municipales en 2008.

On avait tort en prenant à la légère hier ce reportage : il pourrait bien entraîner un formidable coup de pied dans la fourmilière du système des taxis à Marseille. Du côté de l’adjoint aux voitures publiques André Caméra, que nous avons essayé de joindre dès ce matin, on a sûrement pas estimé que c’était suffisant pour interrompre ses vacances. On a tout notre temps…

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