mardi 19 avril 2011

Mercedes 240 : 27 ans, un million de km au compteur et ce n'est pas fini


Increvable et robuste, elle sillonne le pays en tant que taxi depuis trois décennies. Il en existe 35 000 au Maroc.
Elle est partout : dans les grandes villes comme dans les patelins les plus enclavés. Selon une estimation faite par Auto Nejma, le concessionnaire exclusif de la marque Mercedes au Maroc, on en compte 35 000 dans le Royaume. Elle, c’est la Mercedes 240D, un modèle dont le plus récent sorti des chaînes de montage de la vénérable marque à l’étoile a aujourd’hui 27 ans !

Il faut dire que la Mercedes qu’elle soit estampillée 240D (moteur d’une cylindrée de 2,4 litres, diesel), le modèle le plus courant au Maroc, 220D ou 200D (respectivement 2,2 et 2 litres), assure une grande partie du transport urbain, périurbain et interurbain. La 240, qualifiée injustement de «vache folle» ou de «requin blanc» , à cause du non-respect du code de la route par les chauffeurs de grands taxis, est tout simplement incontournable au Maroc. Elle s’arrête pour prendre les passagers à la demande, n’importe où et on s’y entasse à 7 (y compris le conducteur). 

8 000 Mercedes grand taxis pour la seule ville de Casablanca

Dans la capitale économique, 8 000 grands taxis, quasiment tous des Mercedes, permettent à des dizaines de milliers d’habitants des quartiers périphériques de rallier le centre-ville. Un parc automobile composé essentiellement de Mercedes 240, mais les 200, 220, 300 et plus récemment la 250, sont également utilisées comme taxis. A Casablanca, ces Mercedes, visiblement anciennes, assurent le transport quotidien de 100 000 personnes et le gagne-pain de quelque 36 000 familles. Car une Mercedes 240 procure un revenu à deux ou trois chauffeurs, à un intermédiaire et au propriétaire de l’agrément. Pas mal pour une voiture dont la dernière année de production remonte à 1984... 
L’écrasante majorité des Mercedes 240 a été convertie en grands taxis. Les conducteurs de ces derniers sont donc les mieux placés pour parler de la doyenne des Mercedes encore en fonction. «La 240, c’est du solide. La mienne fonctionne 24h/24 et c’est un modèle de 1979», déclare Rachid, chauffeur de taxi, opérant entre les quartiers Derb Omar et Salmia. Même son de cloche chez ce garagiste qui a beaucoup affaire avec les chauffeurs de taxis : «Le moteur est en fonte, pas en aluminium comme sur des voitures plus récentes. Ce qui lui permet d’être plus résistant et de ne pas subir de déformations. C’est un modèle avec une chaîne de distribution et non une courroie, ce qui limite le risque de casse. Et puis, si tu tombes en panne, tu trouves non seulement des garagistes très performants, mais également toutes les pièces détachées». 
Ceux qui ont eu l’occasion de prendre un grand taxi et qui osent poser la question au chauffeur sur le nombre de kilomètres parcourus seront plus que surpris. On a tenté l’expérience et le chiffre est tout simplement ahurissant. Il dépasse le million de kilomètres pour la plupart des taxis en fonction. Un chauffeur de taxi nous a assuré que sa voiture, modèle 1977, a dépassé le cap des trois millions de kilomètres. «Même si elle est vieille, on est toujours à l’aise dans cette voiture. C’est pas pour rien qu’on tient à la Mercedes 240 et qu’on n’aimerait pas qu’elle soit remplacée par une autre voiture», assure Rachid. Il y a quelques années, Renault avait bien essayé de convaincre le syndicat des taxis d’opter pour une Kangoo homologuée (six places plus le conducteur). «No way», répliquèrent les taxisdrivers, convaincus que cette voiture utilitaire ne peut pas égaler leur 240 à la durée de vie impressionnante. 
Si les chauffeurs de taxis tiennent à leur Mercedes 240, c’est également parce qu’elle est peu coûteuse à l’entretien. «Cette voiture ne tombe jamais en panne d’un coup. Elle lance toujours un signal sous la forme d’un bruit. Il faut juste savoir l’écouter. C’est quand même impressionnant qu’elle soit si performante alors qu’elle fonctionne nuit et jour et parcourt des centaines de kilomètres quotidiennement», jubile Abdellah qui assure la liaison entre le centre-ville et Sidi Bernoussi. Et quand elle tombe en panne, elle est facilement réparable. D’abord, parce que les mécanos marocains sont devenus des spécialistes de la Mercedes 240. «Les Mercedes 240, 250, 300, 200 et 220 ont la même carrosserie et le même moteur (4 pistons), sauf pour la 300 qui dispose de 5 pistons. Ce qui nous donne de grandes facilités pour la réparation», assure ce mécano de Ben M’sick. Le génie des mécanos marocains fait des miracles. Ils remplacent des pièces Mercedes 240 indisponibles dans le marché par des pièces BMW qu’on trouve chez les ferrailleurs. Des chauffeurs de taxis en sont même à leur cinquième moteur de changé et la voiture marche encore à fond ! Et puis, les pièces détachées sont disponibles.

Pièces détachées : entre adaptable et ferraille

Il y a deux types de pièces détachées que l’on peut se procurer sur le marché casablancais. Celles que l’on peut acheter chez des détaillants, dont les plus fréquentés sont situés rue Khouribga, à Derb Omar. Les autres, les plus recherchées d’ailleurs, c’est chez les ferrailleurs que l’on peut les trouver. Les plus importants sont installés à Sidi Moumen, Sbata et Hay Hassani. Mais, devant la rareté des pièces d’origine de la Mercedes 240, beaucoup vont s’approvisionner à la ferrailles d’El Gara et de Berrechid. «Chez les détaillants, on ne trouve pratiquement que des pièces adaptables et des prix dépendant de la qualité de la pièce», explique ce détaillant de Ben M’sick. Et ce sont les pièces détachées made in China qui ont la cote, avec des prix défiant toute concurrence. «Le signal coûte 25 DH, les pare-brise avant 400 DH. Les ailes, de 350 à 450 DH», explique Bouchaïb, chauffeur de taxi. Un petit tour chez les détaillants, et on comprend pourquoi les prix ne sont pas les mêmes pour la même pièce. On retrouve bien sûr des produits de fabrication chinoise, mais également des pièces fabriquées par des entreprises taïwanaises, turques, tunisiennes et italiennes. «Il y a un marché important de pièces détachées pour cette voiture parce qu’elle est utilisée massivement dans le transport. C’est pour cette raison que plusieurs intermédiaires se sont intégrés dans cette niche. Les prix dépendent bien sûr de la qualité des marques», confie ce commerçant en pièces détachées à Derb Omar. Et cela va des pièces de moteur aux bougies de préchauffage, en passant par l’huile pour les freins ou encore les filtres. «Pour l’huile des freins, avec le même emballage et la même couleur, on passe du simple au double. 
Quant aux filtres de la Mercedes 240 disponibles sur le marché, on a le choix entre le filtre à 30 ou à 60 DH. Et c’est la même chose pour toutes les autres pièces», explique Mohamed, chauffeur de grand taxi depuis 20 ans. Les inconditionnels de la Mercedes 240, ceux qui préfèrent les pièces d’origine, se plaignent de la rareté de ces pièces sur le marché local. Les prix à la ferraille n’arrêtent pas de flamber. Certaines pièces ne sont plus fabriquées et on ne peut se les procurer qu’à la ferraille. A celle de Sidi Moumen, par exemple, les ailes coûtent 1300 DH. Les ponts arrière 2000 DH, les carters 1200 DH. Pour se procurer les quatre portes, il faut compter entre 6000 et 7 000 DH. Quant au moteur complet, il faudra débourser 12 000 DH. Et cela dépend toujours de la disponibilité des pièces d’origine, qui sont de plus en plus rares à trouver. «Quand j’ai les moyens, je m’approvisionne chez les ferrailleurs. Il n’y a pas mieux que les pièces d’origine, même quand elles ont été déjà utilisées. D’ailleurs, les pièces usées de la ferraille coûtent plus cher que les neuves chez les détaillants», assure Rachid. Pour une voiture accidentée, il est possible de se procurer la moitié arrière d’une Mercedes 240 chez ces mêmes ferrailleurs. Les tôliers s’occupent de l’assemblage et de la soudure. 
En plus des trois ferrailles de la métropole, d’autres garages privés ont ouvert leurs portes. Ils se sont spécialisés dans «l’ancien». A Hay Fadl, du côté de Yasmina, à Sidi Bernoussi ou encore à Lahraouiyyine, ces garages vendent des pièces détachées provenant de la casse. Les chauffeurs de taxis ont même un service de vente de pièces détachées qui est ouvert 24h/24. Fatima est commerçante à Hay Moulay Rachid, et a fait de sa maison la direction privilégiée de tous les chauffeurs en quête de pièces détachées à des heures tardives. Son atout majeur en plus de ses horaires : des prix bien moins chers que chez les autres détaillants.

Un nouveau créneau de recherche : l’Internet

Sur le net, c’est le même engouement pour les pièces de la Mercedes 240. Il suffit de faire une petite recherche pour trouver un nombre important d’annonces sur des Mercedes à vendre ou des pièces détachées à importer. Par exemple, un internaute propose des plaquettes de freins de marque Bendix, pour la 240. Un autre, installé en France, propose des pièces détachées de la Mercedes et assure même la livraison dans toutes les villes du pays. Sur le site Maroc annonces, on trouve l’annonce suivante : «Navettes régulières France-Maroc propose achat et acheminement Mercedes 240 D ainsi que des pièces détachées». Les prix de vente prennent en considération le prix de dédouanement, assez important. A Casablanca, le prix d’une Mercedes 240 «bon marché» varie de 60 000 à 70 000 DH. «Ma Mercedes 240, elle m’est aussi chère que mes propres enfants. Je gagne ma vie depuis le début des années 80 grâce à cette voiture. J’y passe plus de temps que chez moi», conclut Rachid, visiblement ému. La longue histoire d’amour entre la Mercedes 240 et les Marocains est loin de s’achever...

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